J'étendis généreusement mes pattes vers l'avant, appréciant le craquement sinistre des quelques articulations récalcitrantes et celui, plus discret, de mes griffes teintant sur les pièces dorées qui constituaient mon lit. Je baillais tandis que mon corps souple se laissait glisser sur la pente mouvante jusqu'à ce que j'atteigne le sol dans un ronronnement d'appréciation. J'étais encore fatigué, l'idée de m'allonger de nouveau pour reprendre un sommeil satisfaisant restait tentante mais j'avais d'autres choses à faire. Dans deux heures, quand la nuit tomberait et alors que le soleil abdiquerait face à la lune, mon premier combat de la nuit commencerait... Les mises à mort se succéderaient alors, comme autant de conséquences inévitables à ma présence parmi eux. Tout le monde savait que j'étais terrifiant et imbattable, mais cela ne les empêchait pas d'essayer... Et de toujours sourire face à moi, sûrs de me vaincre. Jusqu'à ce que l'implacable vérité n'illumine leur boîte crânienne dépourvue de matière grise.
Je contemplais un instant mon butin sacré... Une montagne de pièces d'or, de bijoux rutilants, de pierres précieuses rayonnantes... Et prit lentement forme humaine. Changeant ma peau écailleuse contre celle douce et laiteuse de mon alter égo bipède et banal, des cheveux vinrent habiller mon visage, mes yeux se firent d'un vert éclatant et mon corps se sculpta peu à peu pour donner forme à un jeune homme grand, taillé d'une carrure en V et caractérisée par des muscles saillants et puissants sans être excessive. J'avais la silhouette d'un guerrier, d'un combattant... J'avais prit exemple par ce corps musclé que j'avais sculpté lors de ma vie d'Héphaistion. Un rappel, plus de deux mille cinq cent ans plus tard, de ma vie d'avant, de ce que j'étais... Avec quelques modifications cependant. Je me dirigeais nonchalamment vers le seul coin dégagé que comportait ma grotte, je marchais ainsi sur quelques pièces d'or, glissant sur certaines d'entre elles tout en rattrapant habilement mon équilibre... Pour atterrir devant un miroir à côté duquel se tenait un petit meuble. Rien de plus. Rien de moins.
Je m'observais un moment devant mon reflet avant de soupirer... Oui... Le corps d'Héphaistion sans les cicatrices multiples et innombrables qui le composent désormais. Si je devais expliquer cela, je dirais que l'apparence d'Héphaistion est ma véritable apparence humaine, je peux en changer autant que je le souhaite mais ce grand homme musclé inscrit dans l'histoire est ma forme naturelle lorsque je prends l'apparence de ces créatures bipèdes. Aussi, chacune de ces cicatrices qui composent mon corps de dragon... Apparaissent aussi sur le sien.
Sur mon apparence actuelle, je n'en ai laissé que quelques-unes. Notamment celle de ma joue, souvenir d'une des colères de mon Alexandre. Sans doute la plus belle qu'il ai jamais eut, celle qui me rend le plus heureux mais aussi celle qui me fait le plus souffrir. Je glissais mes doigts sur la marque, retraçant du bout de mes doigts le dessin léger qu'elle trace sur ma peau. Laissant retomber mon bras, j'attrapais
le bâton de khôle et approchais mon visage de mon reflet, prenant garde à ne pas croiser mon propre regard... je l'évitais autant que possible à mon réveil. Je me concentrais sur ma tâche première, m'appliquant jusqu'à réussite totale, appréciant le résultat en me souvenant qu'Alexandre aussi aimait ce genre de chose. Nouveau soupire... Cet homme me colle à la peau. Je reposais l'objet sur son support avant de me diriger vers l'armoire qui se trouvait juste à côté, attrapant un long manteau de cuir noir, une chemise blanche à manches longues et un pantalon de cuir sombre lui aussi. J'agrémentais le tout d'une paire de bottes lourdes garnies de chaînes... Non, ma garde robe n'est pas uniquement constituée de vêtement sombre, seulement ce genre d'habillement en jette et force le respect chez ceux que je vais retrouver ce soir. Je glissais une paire de mitaines en cuir à ma ceinture, je les enfilerais pour le combat et fourrais dans mon sac un peu d'argent, de quoi m'essuyer à la fin de chaque combat et une bouteille d'eau. Non, je vous rassure, aucune pièce dans mon porte feuille. Que du papier. Une fortune dirons-nous, seulement pour les autres. Mon seul trésor, ma seule fortune, se trouvait dans mon dos, sous mes pieds en l'apparence de monts dorés et colorés... Mais aussi dans ma tête, sous la forme de souvenirs plus précieux qu'aucunes des gemmes que je possède. Ah... Et toutes les pièces uniquement – ou presque – constituées d'or sont déjà au milieu des Louis d'or et autres.
Une fois prêt, je posais mon sac sur mon épaule et m'approchais du rebord de ma grotte. Ne croyez pas que je suis suffisamment stupide pour entreposer un tel butin à la portée du premier suicidaire venu. En réalité... Je suis très haut. J'attrapais le second sac qui se trouvait à mes pieds et l'enfilais sans trop hésiter, nouant les boucles, refermant les accroches jusqu'à ce que mon parachute soit parfaitement fixé sur mon dos. Je ne craignais pas la moindre chute, à vrai dire en cas de problème il me suffisait de me transformer et de me sauver avant que quiconque ne m'ait vu. Ce n'est plus aussi évident qu'autrefois mais j'espérais y parvenir si jamais un tel problème venait à se manifester. Puis, une fois prêt... Je sautais dans le vide sans la moindre peur.
Me fondre dans la masse ne fut pas difficile. Après avoir planqué mon parachute parfaitement refermé et rangé, je m'étais mêlé à la foule, disparaissant comme j'étais apparus, soit très rapidement et très efficacement. La nuit était tombé depuis moins d'une demi heure et je m'approchais très rapidement des entrepôts où se déroulaient les réunions. L'adresse changeait fréquemment mais aucune ne m'était vraiment inconnue... Et chaque changement suivait une logique. Un peu tordue la logique, mais j'arrivais à la comprendre et à la prévoir... Cela devait-il me faire douter de ma santé mentale ? Sans doute aucun mais je n'ai jamais pensé être saint d'esprit alors ne cherchons pas la petite bête.
Je me glissais sans problèmes dans l'entrée de l'entrepôt... Et fus assaillit par une multitude d'odeur. La plus présente restait évidemment celle du sang. Elle embaumait l'air comme s'il s'agissait de l'odeur naturelle de cet endroit... Ce qui n'était peut-être pas si faux. La fumée de cigarette rendait l'endroit opaque mais cette particularité ne me dérangeait pas, pas plus que de la respirer : la fumée ou tout ce qui s'apparentait au feu n'était pas un désagrément. Plutôt le contraire. Et puis il y avait le reste. L'urine, le vomit et toute sorte d'autres odeurs nettement moins agréables... Enfin, il y avait les cris. Hurlements d'une masse de gens furieux, excités comme une meute de chiens enragés, huant le perdant, encourageant celui qui se profilant comme étant le vainqueur... Et puis il y avait les mauvais perdants, ceux qui râlaient, grognaient et marmonnaient parce que leur favoris venait de se faire trancher la gorge très bêtement. Je souris, amusé... L'humain n'était rien de plus qu'un chien.
- Ah ! Je pensais que tu ne viendrais pas Seth.- Bonsoir Lou.Le garçon grogna et se porta à ma hauteur. Il était plus petit que moi et sa bouille à la fois adorable et mature le rendait particulièrement attrayant. En l'espace de quelques jours, chacun l'avait reconnu comme la mascotte de ces combats : personne ne lui cherchait des noises, tout le monde l'adorait... Mais personne ne savait que derrière ses grands yeux bleus et ses tâches de rousseurs sur son petit nez retroussé cachaient un démon. De la pire espèce.
- Alexandre, Seth. Je m'appelle Alexandre. Alors appelle-moi par ce prénom s'il te plaît.- Uniquement lorsque tu t'en montreras digne.Je le vis hausser un sourcil et me contentait de jeter un coup d'oeil sur la masse humaine qui se pressait sur le ring au fond à gauche. Curieusement, aucun combat n'avait lieu sur les autres rings disponibles. Lou grogna un « toujours aussi bizarre » accompagné de quelques grommellements sans doute pas très polis avant de me rejoindre :
- Ce soir, Zed est venu. J'imagine que tu comprends l'animation.Je hochais la tête. Oui. Je comprenais qu'il y ai un tel attroupement de ce côté-ci de l'entrepôt, et une telle odeur de sang... Mais je ne m'attardais pas là dessus. Ce soir, je me fichais pas mal de ce qu'on me demanderait, de qui je combattrais... Comme tous les autres soirs, je ne désirais rien de plus que de la souffrance, du sang et de la mise à mort. Je me passais une main dans les cheveux, mes doigts accrochant à quelques mèches avant que je ne me détourne de cet amas humain et pathétique.
- Toujours aussi flegmatique. Moi qui pensais t'arracher un frisson de terreur à la mention de Zed, te voilà aussi décontracté que si je t'annonçais que le ciel était bleu.Je levais les yeux au ciel. Et il voulait que ça me fasse quoi, que l'autre déganté soit de la partie ce soir ? Je ne l'avais rencontré qu'une fois et il était le seul à m'avoir sourit comme s'il était mon meilleur ami et qu'il ne me craignait pas. D'ordinaire, même ceux qui m'affrontent le soir sont sûrs de me vaincre mais ressentent tout de même de la peur. Celle d'avoir mal, d'être blessé. Lui, il n'avait peur de rien. Ni de moi, ni des autres. Il se sentait comme le loup au milieu des moutons. Je ne sais pas s'il m'a intéressé, s'il m'a un minimum intrigué... Je sais juste que cet humain – si c'en est un – n'est pas tout à fait comme les autres. Malgré tout, il n'était pas parvenu à percer cette gangue d'indifférence générale qui me caractérisait. J'étais hors du temps, hors du monde et des êtres humains. Dans cent ans, Zed ne serait qu'un tas d'os peut-être déjà réduit à l'état de poussière tandis que je parcourais encore le monde, traînant ma peine, mes souvenirs et ma carcasse lourde de ses erreurs et de ses regrets.
- Tu as une mandarine, Lou ?- J'ai la gueule à transporter des mandarines partout avec moi ?Je haussais les épaules sans le regarder et passais au stand pour m'enregistrer obtenant le numéro vingt deux, une plaque que j'accrochais autour de mon cou, mu par habitude. Je me fichais pas mal qu'on le voit ou non, je ne souhaitais qu'un combat. Que le temps file et m'offre mon premier adversaire.
Je ne fus pas très surpris d'apprendre que Zed était le numéro un... Et que mon premier combat du soir – et sans doute le seul – m'opposerait à lui. Le temps que j'arrive, il avait déjà évincé tous ceux qui s'était présentés ce soir. Peut-être que, si j'arrive à passer ce combat, d'autres s'inscriront et passeront un à un face à moi... Mais j'étais loin de trop y penser. L'excitation prenait un peu le pas sur mon apathie... Si Zed se montrait à la hauteur de mes attentes, j'allais peut-être claquer ce soir. Mais j'avais quelques doutes quant à cette possibilité : saurait-il se montrer plus mortel et plus dangereux que tous les dragons que j'ai tué jusqu'ici ? Que tous les êtres magiques ou non qui ont trépassés sur mon chemin ? A mesure que le temps passait et que mes adversaires finissaient tous par mordre la poussière, la chance que j'avais de mourir un jour se faisait de plus en plus diffuse, de plus en plus... Nulle. Mais pas inexistante pour autant.
Lorsque mon numéro fut scandé sous le plafond de l'entrepôt, je me présentais non loin du ring. Rien de bien folichon : un grand terrain seulement limité par une peinture blanche sur le sol, impossible de la loupée, elle était retracée chaque soir et chaque fois que cela s'avérait nécessaire. Une ligne de sécurité empêchait les spectateurs de trop s'approcher de la surface de combat, au risque d'y perdre un bras ou simplement la vie. Je soupirais sous le regard exaspéré de Lou – il ne supportait pas que je ne joue pas le jeu et me montre sérieux pour mon premier combat du soir, il préférait que je me montre moins nonchalant – avant de retirer ma veste et de la confier au garçon ainsi que mon sac. Ma chemise blanche n'était pas ouverte et j'hésitais à la retirer... Avant de céder et de la donner également à mon compagnon humain. Inutile de gâcher une chemise, il me faudrait en acheter une autre, or il m'était bien difficile de dépenser bêtement de l'argent quand je pouvais m'en abstenir. Torse nu, un médaillon autour du cou, seul avec mes bottes, mon pantalon et mes cicatrices. Zed, lui, était en débardeur et en pantalon de tissu simple, une ceinture à laquelle pendait une dague simple mais que je devinais efficace et mortelle... Et pieds nus. Ses cheveux blonds striés de mèches noirs glissaient devant son regard d'un bleu glacial tandis qu'il souriait. Tout à coup je comprenais pourquoi les autres le craignaient : son sourire amical de la dernière fois ne l'était plus tellement à cet instant précis. Celui qui étirait ses lèvres, maintenant, était cruel, plein d'un sadisme à la limite de la bestialité tandis que l'éclat dans son regard reflétait toute sa folie meurtrière. Alors je devinais ses pensées. Il avait attendu durant des mois, des années même, pour ce soir. Ce soir où il m'affronterait, moi, l'autre monstre que contenait ce tournoi de combats à mort. Parce qu'il était un monstre lui aussi ! Difficile d'ignorer la bête grondante et furieuse qui s'impatientait derrière les orbes glaciales.
- Je propose qu'on ne joue pas la comédie ce soir. annonçais-je avec un sourire confiant.
- Je n'en demande pas moins !Lentement, son sourire s'agrandit jusqu'à devenir inhumain. Son corps s'arqua vers l'avant tandis qu'il posait ses mains sur le sol bétonné. Le silence régnait tel un roi sous la voûte baignée des fumées de cigarette. Son dos se fit rond... Puis son corps sembla se tendre, s'élargir et pendant que ses muscles et ses os se modifiaient dans un concert de craquements sinistres faisant échos aux gémissements de ses habits, sa peau ondula, se parant d'une fourrure épaisse et noire. En l'espace d'une courte minute, un loup énorme, monstrueux, me faisait face. Ses yeux d'un bleu extrêmement clair exprimaient toute son excitation sauvage et toute son intelligence humaine. La configuration de son corps suggérait qu'il pouvait se tenir sur deux pattes, mais le fait qu'il puisse se métamorphoser sans perdre toute sa tête me permettait de penser qu'il devait être métamorphe avant d'être lycanthrope.
Un éclat intéressé naquit dans le vert sidérant de mes yeux. Je ne pouvais pas prendre ma forme réelle de peur de tout réduire à l'état de gravillon et d'écraser toute la foule... Seulement je pouvais modifier, pourquoi pas, certaines parties de mon anatomie. Je n'avais encore jamais essayé. Un stade intermédiaire entre l'être humain et le dragon.
- Alorrrs ?- Je préfère éviter de changer ici. - Quelle rrrace ?- De ceux qui vivaient avant les tiens.Un éclat plein d'intérêt s'alluma dans ses yeux... Et il n'attendit pas plus longtemps. Je soupçonnais qu'il ne s'agissait pas de sa propre volonté, mais plutôt qu'il ne pouvait plus se retenir.
Il bondit dans ma direction, ses pattes arrières l'aidant d'une détente formidable... Et je n'eus qu'à mes réflexes de ne pas finir entre ses crocs. Je n'étais plus habitué aux véritables combats où les crocs et les griffes remplacent les lames... Où seule la nature décidera du plus fort. Je me jetais sur le côté, exécutant une roulade avant de me réceptionner sur mes pieds... Déjà il fonçait vers moi. Un sourire animal étira mes lèvres et je restais immobile. D'un coup, au moment précis où il se situait au bon endroit, je poussais sur mes jambes et plaçais mes mains dans ses pattes aux doigts griffus. Ses épaules rencontrèrent les miennes, sa gueule cherchant à attraper ma gorge sans succès. Cette position me rappelait la lutte grec et ce fut avec plaisir que je me remémorais certaines de ses prises. D'une torsion du corps et d'une pression de l'épaule, j'imprimais un mouvement au corps de mon adversaire. Il gronda, de la bave ruisselant de ses babines retroussées... Vint l'instant décisif où je parvins à le renverser, à le plaquer sur le dos et à me retirer de ses alentours immédiats d'un bond. Il me fallait du temps pour maîtriser cette nouvelle idée. Celle de modifier mon corps d'humain. Placé dans le coin inférieur droit du ring, je me trouvais non loin de Lou. Il me regardait, les yeux écarquillés, comme tous les autres qui n'avaient toujours pas imprimés ce que nous étions et ce que nous faisions. Nous étions des monstres... Et il n'avaient pas encore réalisés que nous pouvions les dévorer d'un claquement de mâchoire. Je plaçais ma main droite devant mon visage et me concentrais. Le processus était le même que lorsque je reprenais ma forme réelle, mais il était à moindre échelle et il devait être contrôlé. Centimètre par centimètre. La taille devait rester à l'échelle humaine.
Lentement mes doigts changèrent, craquant à qui peu mieux, les ongles devinrent des griffes sombres, les doigts s'épaississant, la peau se recouvrant d'écailles sombres et épaisses, les muscles se tordant et se gonflant pour pouvoir m'apporter toute la force dont j'avais besoin. La métamorphose se poursuivit jusqu'à mon code. Je répétais l'opération sur mon avant bras gauche... Mes yeux changèrent progressivement de couleur. Je sentis la pupille et l'iris se faire envahir par ma nature monstrueuse, devenant d'un orange brillant, luisant de bestialité tandis que la pupille se fendait pour refléter toute l'horreur de ma nature. Je souris, mes canines devenues crocs tandis que je me réjouissait de cette nouvelle possibilité. C'était douloureux, difficile à contrôler durant le changement... Mais pas si compliqué.
Zed n'attendit cependant pas que je poursuive mon idée. Ses pattes martelant le sol, il fonça sur moi, gueule béante et la rage au creux des os... Une poussée et je bondissais à sa rencontre. Mes mains devenues pattes se posèrent sur sa boîte crânienne, poussèrent... Et je me retrouvais de l'autre côté du ring. Je retirais mes bottes en vitesse, bataillant un moment avec les chaînes et les lacets avant d'y parvenir. Le loup revint à la charge et je me glissais sous ses pattes avant tendues dans ma direction. Mon corps devenu agile et souple me permit de m'accrocher à ses poils et de me dresser sur son dos... Mes pieds nus mutant à leur tour pour devenir des pattes monstrueuses armées de griffes puissantes. Tout à coup, je paraissais nettement moins humains, avec mes yeux oranges, les membres anormaux... Et les hurlements qui retentirent tout autour de moi ne furent pas ceux que j'attendais. Nulle horreur, nulle terreur... Uniquement l'excitation morbide d'un combat de monstres offerts à leurs yeux incrédules.
Rendu inattentif par cette explosion sonore, je réagis trop tard lorsque le corps velu se tordit... Et ne put empêcher la mâchoire puissante de se refermer sur ma cheville. Un grondement de douleur m'échappa et je me penchais en avant, m'accroupissant sans chercher à échapper à sa prise... Il resserra ses crocs et je sentis ma chair s'ouvrir, ses crocs ripant sur mes os... Il tira d'un coup sec, relâchant sa prise et je me retrouvais sur le dos, au milieu du ring et la cheville douloureuse. Je me redressais juste à temps pour éviter sa charge... Avant de foncer tête baissée à mon tour.
J'étais désavantagé par mon apparence clairement humaine, seulement troublée par quelques griffes et par une mâchoire malgré tout trop étroite pour infliger une réelle blessure... Seulement le feu qui brûlait en moi suffit à rendre Zed plus méfiant. Tout devint un tourbillon de flammes, de hurlements excités, de rugissements de douleur ou de fureur... Le sang coula tandis que ses mâchoires se refermaient sur mon corps fragile, mais l'odeur de poil brûlé embauma bientôt l'entrepôt... Au même titre que son sang tapissa le sol de notre ring, se mêlant au mien. Et je m'éclatais comme un gamin !
Ce « petit jeu » dura une petite demi heure... Au terme de laquelle je ressemblais à une loque sanglante mais souriante, tandis que mon adversaire avait la langue pendante et le corps au moins aussi amoché que moi. Sa fourrure n'avait plus rien de splendide et tout d'un amas brûlé et puant... Mais on souriait tous les deux. Mes avis que cela faisait longtemps que nous n'avions pas affronté un adversaire de cette trempe. J'aurais pu le tuer, lui infliger de telles brûlures qu'il ressemblerait à un beefsteak resté trop longtemps sur le grill, mais ç'aurait été gâcher un combat pareil et je l'aurais regretté. C'est quand nous allions reprendre notre affrontement – et sans doute y laisser la vie – que des cris attirèrent notre attention. Là-bas, à la sortie de secours de l'entrepôt... une escouade d'humains s'infiltraient, très vite rejoint par d'autres qui entraient, cette fois, par la porte principale. Jusque là rien d'anormal : les combats étaient hors la loi... Seulement ils laissaient partir tout le monde. Leur attention uniquement focalisée dans notre direction.
- Ces humains n'ont pas l'airrr très surrrprrrit.- Non... Pas assez à mon goût.Pas un très vague arrêt, comme pour marquer un minimum d'étonnement, de surprise.
- C'est nous qu'ils veulent.Un grondement d'assentiment retentit sur ma droite et un sourire étira nos lèvres, dévoilant des crocs qui n'avaient rien à envier aux prédateurs de ce monde.
- Seth !Je fronçais les sourcils et orientait mon regard très légèrement sur la droite. Lou fixait sur moi son regard écarquillé par la peur. Je n'eus pas besoin de chercher à comprendre qu'il n'avait pas peur
de moi, mais
pour moi. Un grognement m'échappait et je lui criais de s'enfuir. Il hésita un bref instant, semblant me supplier du regard de venir avec lui, de l'accompagner et de le protéger. Malgré ma nature qu'il devait sans doute deviner pire que ce qu'il voyait à cet instant précis, il ne me craignait pas. Pas tout à fait. Il voulait que je vive et que je l'accompagne... Seulement je ne suis ni son chien, ni son frère. Il saurait très bien se débrouiller tout seul, le temps que je règle cette petite affaire. Une fois convaincu, il quitta les lieux en courant, se fondant dans la masse qui se déversait hors de l'entrepôt. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus que Zed, moi... Et nos petits invités armés. Un grondement bas m'échappa et je pris une position plus ou moins identique à celle du loup à mes côtés. Pattes sur le sol, dos arqués et position on ne peut plus sauvage, mon corps se déplaçait avec une souplesse qui n'avait rien d'humain et tout de reptilien.
- Je prends ceux de droite.La gueule sombre hocha... Et nous nous élançâmes. Pas très longtemps en réalité. Nous eûmes beau bondir, sauter, éviter, refermer nos mâchoires sur des gorges protégées de plaques de cuir ou de métal, cela ne nous empêcha pas de finir étaler sur le sol. Nulle balles dans leur chargeur... Seulement d'importantes doses de... Sédatif. Et sous cette forme humaine, il m'était bien difficile d'y résister. La dose était forte, trop pour que je puisse y résister, et prendre ma véritable forme était définitivement hors de question. C'est en l'espace d'une minute que mes yeux se fermèrent, rencontrant ceux, d'un bleu glacial, de Zed. Le même sommeil se lisait dans ses yeux... Et la même incompréhension. Mais nulle crainte.
.:: Le réveil est douloureux ::.
Ouvrir les yeux me fut difficile. Tout d'abord parce que mes paupières me semblaient extraordinairement lourdes. Bouger m'était également impossible... Mon corps semblait en plomb pour reprendre une expression humaine... Et, sous mon ventre, je ne ressentais pas le lit si particulier de mes pièces d'or. En revanche je sentais un terrain plat, anormalement froid... Et mon corps n'était pas celui d'un être humain. Ouvrir les yeux me prit plus d'une minute, et il m'en fallu une seconde pour organiser ma vue et ne pas avoir l'impression de regarder au travers d'un papier calque ou tout autre truc du genre. Force était de constater que je me trouvais dans une sorte d'immense cage dont les murs étaient garnis de barreaux que je devinais électrique sans avoir besoin de m'en approcher. J'avais suffisamment vécu avec ma mère qui dégageait constamment une aura électrique, comme des centaines de joutes courraient sur sa peau cuirassée. Je n'étais pas sûr de pouvoir dire résister à une lourde décharge, mais en revanche j'étais plus résistant que la plus part... Seulement pour me déplacer, défoncer le mur et m'enfuir, il me fallait d'abord être capable de me dresser sur mes pattes... Ce qui me semblait résolument impossible à cet instant présent. Un soupire profond m'échappa, exhalant une lourde fumée opaque que j'observais distraitement, encore un peu groggy et pas tout à fait réveillé. Une porte, sur le mur face à moi s'ouvrit et je me retrouvais bientôt avec un petit humain en blouse blanche dont les cheveux noirs ébouriffés cachaient mal les épaisses lunettes rondes qui trônaient sur son nez. Un petit rire m'échappa ce qui sembla l'interpeller. Il leva les yeux de son calepin où se trouvait tout un tas de gribouillis dont je me fichais pas mal, ses yeux rendus troubles par le verre me toisant avec curiosité et agacement. C'est la meilleure ça : un petit humain pas plus grand qu'un de mes crocs me regardait avec agacement. Je reniflais, me retenant d'éclater de rire en soupçonnant une quelconque drogue de me rendre nettement plus joyeux que d'ordinaire :
- Très intéressant... Je n'aurais jamais cru que, parmi toutes les créatures que j'ai rencontré, il puisse y avoir encore des dragons.- On t'a mal renseigné alors.Je le vis frémir sous sa blouse, ses yeux s'écarquillant derrière la barrière de ses lunettes opaques... Il puait la peur maintenant. A quoi s'attendait-il ? A ce que je sois une énorme bestiole avec le QI d'une vache attardée peut-être ?
- Vous êtes combien ?Je haussais un sourcil, du moins ce qui aurait du en être un... C'était une habitude typiquement humaine que j'avais prise au fil du temps. Très agaçant parfois en fait.
- J'en sais rien.Une décharge électrique couru le long de mon corps et je retins un grognement, sentant des fourmillements dans mon corps et quelques spasmes musculaires. J'eus un « tsk » très révélateur avant de tourner mes grands yeux dans sa direction, ma pupille très légèrement dilatée par la colère montante :
- Écoute demi-portion, quand tes ancêtres n'étaient encore qu'une éventualité dans un monde futuriste, je chassais les miens et je les tuais un par un. Et crois moi je prenais mon pied comme jamais tu prendras le tien avec les catins de ton quartier. Alors crois-moi que les miens se font discrets quand je suis dans les parages.Je ponctuais mes paroles d'un grondement violent et vibrant qui me valut une nouvelle décharge électrique mais je résistais, parvenant même à me hisser très légèrement sur mes pattes avant et le dominant un peu plus – ce qui n'était, en outre, pas nécessaire. Une petite flammèche m'échappa, frôlant de peu la tignasse du petit scientifique en herbe... Qui se précipita vers la porte en geignant, disparaissant derrière le battant d'acier en le claquant vivement. Je poussais un soupire avant de me laisser retomber sur le dallage froid, mes membres tremblants sous l'effort exigé et les décharges électriques... Ces murs n'étaient pas seulement garnis de protection pour m'empêcher de partir, c'était aussi une salle où on pourrait m'interroger à loisir avec son aide. Je fermais mes paupières et rêvassais un long moment, mes pensées s'envolant une nouvelle fois vers une époque où la torture était bien plus personnelle, où le tortionnaire était humain et vivant... Pas une machine qui dicte et ordonne. Vers une époque où j'étais heureux, où je voudrais revenir... Pour retrouver ma seule raison de vivre... Et celle qui aurait dut être ma seule raison de mourir.
Les visites se poursuivirent, les questions aussi mais j'avoue ignorer même où se trouvait Fane et mes parents, cela ne me manquait pas bien qu'il m'arrivait de me demander comment ils allaient. Les décharges finirent par devenir habituelles aussi ils abandonnèrent très vite, s'extasiant sur le fait de, peut-être, trouver d'autres Dragons qu'ils pourraient interroger, examiner et toutes leurs conneries scientifiques. Au final, une nouvelle dose de drogue me fut injectée – ça vous ferait rire si je vous disais que la seringue était énorme et qu'ils ont du s'y prendre à plusieurs pour percer mon cuir ? - et je sombrais une nouvelle fois. Direction l'île.