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 Number Eight

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Number Eight

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MessageSujet: Number Eight   Number Eight EmptyLun 13 Déc - 19:42

Aalan

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Raphaël
Kevin

Dave

Weis

Nathan

Alexandre

Born

Edward

Mehul

Caleb
Ares

Max

Edel

Gabriel

Vincent

Rick

Salim

Edwin

Matthew

Tels furent ses noms, et bien d'autres encore qui se sont perdus dans les méandres du passé. Ceci est l’histoire d’un homme immortel ne possédant rien de plus que sa mémoire bouleversante. Mémoire ! Ha non, c’est vrai qu’il n’en possède plus depuis longtemps… Sa vie est un éternel trou noir, béant, s’agrandissant à chaque nouvelle réincarnation. Et ceci est son enfer.

********************


Dernière édition par Number Eight le Lun 13 Déc - 20:11, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Number Eight   Number Eight EmptyLun 13 Déc - 20:00

    Nathan (1961-1964)

    Quelle foutue journée glaciale ! Quel temps de merde… Et je suis là, à me geler les couilles dans une rue qui mène à un hangar moisi. Je sautille sur place, essayant de faire circuler le sang dans mon corps, me réchauffer, avant que je ne me transforme définitivement en glaçon. Le gars à côté de moi rigole de bon cœur avec sa bouteille de scotch, il me regarde d’un œil torve, sans doute déjà soul. Ce type est quasiment bourré vingt-quatre heures sur vingt-quatre et j’en viens de plus en plus souvent à me demander comment cette chose arrive à tenir debout sans tituber. Et comme j’arrive à le considérer comme mon ami. Je secouai la tête, chopant sa bouteille pour boire à même le goulot. Plusieurs rasades, sans hésitation, sans recracher et sans tousser. J’avais également de l’expérience dans le domaine de la beuverie.
    Je sens l’alcool me brûler délicieusement la gorge, réchauffer mon gosier. Je cesse de bouger, m’amusant à cracher des volutes de fumée avec ma bouche. Quelques minutes plus tard, je tournai la tête vers mon camarade, l’interrogeant muettement sur l’heure.

    - 04h06
    - Putain… Je devrais être dans mon pieu à cette heure !
    - C’est pour la bonne cause que t’es ici!
    - Rappelle la moi veux-tu ? grognais-je, plus mécontent à chaque seconde.
    - Le fric ? Un beau paquet de fric !

    Ha ouais. Une belle somme d’argent. Mais pour l’avoir, je devais être non seulement le favori mais en plus je devais rester debout jusqu’à la fin. Je sais que je peux encaisser, mais cette nuit, je la sens pas. Quelque chose cloche. J’ai comme un mauvais pressentiment, quelque chose va mal se passer. Pas dans le sens ou il va y avoir des morts, non, ça y’en a toujours dans ce genre d’événements… non… c’est autre chose. J’ai envie de me casser, je sais qu’il va y avoir une saloperie, c’est comme si mon instinct me le hurlait.

    - Nathan, tu flippes pour rien.
    - Va te faire foutre. C’est pas toi qui va te retrouver dans l’arène.
    - Je t’ai proposé d’y aller !
    - Et tu ferais dégommer en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Tu es complètement soul en plus.
    - Je bois pour ne pas paniquer quand tu seras dans la fosse.
    - Charmante attention de ta part. raillais-je. Sois gentil, enterre-moi dans le parc à côté du lycée, dans la roseraie…

    Il me sourit doucement et me tendit son petit doigt. Je l’attrapai avec le mien, scellant cette promesse stupide… Avant de le serrer contre moi. Juste une simple étreinte, juste un besoin de sentir son putain de corps contre le mien. Car si lui pense que c’est une lubie de ma part, une de ces fascinations que j’ai pour la mort… moi je sais quelque part, que cette nuit, je ne reviendrais. Et quitte à crever cette nuit, autant le faire de manière mémorable et surtout de le graver dans la mémoire d’un couillon comme lui ! Je respirai son odeur tandis que je sentais ces mains tapoter maladroitement mon dos. Je ravalai un éclat de rire et me dégageai de lui. Je l’observai un instant avant de poser un baiser sur son front.

    - Casse-toi Dorian. Rentre chez toi et va dire à ta famille que tu l'aimes.
    - Qu’est-ce qui te prend tout d’un coup ?
    - Tu as une famille et tu ne réalises pas la chance que tu as. On se retrouve demain soir au club. On sera riche mon petit rat.
    - Nath…
    - Dégage boulet. J’ai pas envie que tu me vois morfler !
    - Nathan, il était convenu que nous resterions tous les deux !
    - Promet-moi que tu feras quelque chose de ta putain de vie Dorian. T’es pas con, t’es même doué en musique et en langue… Promet-moi d’arrêter tes conneries. C’est pas une promesse en l’air que je veux. Fais-la vraiment.
    - D’accord. Si ça peut te faire taire…

    Il sortit un couteau de sa poche, s’ouvrit le pouce et me tandis ensuite l’arme. Je l’imitai avant que nous ne joignions nos deux plaies. Il soupira et me regarda, me jugeant avant d’hocher la tête.

    - Fais gaffe à toi vieux.
    - Ouais. Comme toujours. Hey Dori ! Kathy… Tu devrais sortir avec elle !

    Terminais-je en lui faisant un clin d’œil. Il rougit avant de me faire un doigt d’honneur puis partit en courant dans la neige avec un éclat de rire. Et dire qu’il est imbibé d’alcool le con… Je pris une grande inspiration et me dirigeai vers le hangar. J’entrai et sentis immédiatement l’odeur désagréable de la sueur, du sang et de l’urine. Il était encore temps de faire demi-tour mais une force invisible me poussait à aller plus loin. Comme un murmure ricanant dans ma tête, une susurration que me disait que ce soir, je saurais vraiment qui je suis. Parce que le problème est là… je ne sais pas qui je suis. J’ignore tout de moi, mon nom, mon âge, qui est ma famille… Je me suis réveillé au beau milieu de la nature et j’ai avancé, simplement… pour m’écrouler de fatigue en pleine ville et me réveiller une nouvelle fois dans un hôpital. Après ça, j’ai comme qui dirais mal tourné. J’ai enchaîné les passages au poste de police et les bagarres pourries avec des bandes encore plus pourries.

    Et là je suis dans un hangar pour un combat humain. On prendrait des paris, miserait sur les têtes et le sang qui serait versé. Je suis un gros malade qui se jette dans la mêlée et qui sourit à l’idée de casser des dents. Faut pas croire ma petite bouille d’ange !

    Le temps passe et au loin, j’entends le bruit caractéristique des sirènes de police. L’alarme est donnée. Les combats humains ne sont pas acceptés après tout. Tout le monde sort en trombe, écrase les autres, c’est chacun pour soi. C’est assez immonde d’ailleurs. Je les laisse se ruer sur la porte principale tandis que moi, je préfère utiliser la sortie de « secours. » En fait c’est plus une ouverture rouillée et dangereuse qu’autre chose. La suite se passe assez rapidement. La police nous encercle, moi et un petit groupe. Les cons ne veulent pas se laisser faire et je sens la petite bête hurler en moi. Je suis terrifié…

    Terrifié par les images de mort qui s’agglutinent devant mes yeux. Les images de MA mort.

    Ça hurle de tous les côtés, j’essaye de sauver ma peau comme je peux, même si je titube, même si je sombre de plus en plus dans la folie.

    Je suis Robin et je suis mort il y a dix ans d’un couteau dans le cœur.
    Je suis Nathan et je viens d’être tué par une balle en pleine tête.


    ********************
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MessageSujet: Re: Number Eight   Number Eight EmptyLun 27 Déc - 20:55

    Raphaël (1461 – 1601)
    Partie I

    Depuis mon arrivée ici, mon existence n’a jamais été aussi ennuyeuse. Pourtant je ne devrais pas m’ennuyer, je devrais lutter pour gagner ma vie, trimer sous le labeur… Et bien c’est ce que je fais. Du matin au soir. Sauf que ce travail n’a rien de passionnant. Je range des articles sur un étal, de les dispose de telle sorte qu’ils attirent l’œil du client. Bref, je décore. Et puisque les clients ne se pressent pas autour de l’étal, je n’ai rien à faire. Mon patron, mon maître, me regard d’un air désapprobateur, mais je n’en ai que faire. Il peut bien dire que je fais fuir toute la population avec mon accoutrement, je ne me changerais pas pour autant. C’est que le soleil tape fort vers midi, en plein été et je n’ai guère envie d’avoir la peau brûlée et tannée par les rayons. Je me suis donc enroulé la tête avec un grand tissu, qui me cachait la moitié du visage et la totalité de mon crâne.

    - Raphaël ! Aide donc cette dame à choisir parmi nos produits !

    Mon regard se tourna vers mon maître et je soupirai discrètement, me dirigeant vers la dame qui semblait bien indécise. Elle hésitait tout simplement entre plusieurs colliers. Je lui jetai un rapide coup d’œil, évaluant ses revenus, comment elle s’habillait et donc ses goûts. Modeste, elle ne saurait pas s’offrir les deux bijoux qu’elle lorgnait le plus, mais vu sa taille et sa silhouette…

    - Ma dame. La saluais-je d’une voix enjouée et presque charmeuse. Puis-je ? Celui-ci vous irait à merveille, il mettra votre teint en valeur et rehaussera la couleur de vos yeux. Il est discret et assez fin pour une dame de votre genre.
    Elle me regarda bizarrement, m’interrogeant sur mes derniers mots alors que je passais le bijou sur son cou gracile. Oui, votre genre. Une dame séduisante qui plait aux hommes.

    Elle rougit sous mon compliment et détourna la tête, avant de se regarder dans le miroir que je lui tendais. Elle effleura la petite pierre précieuse du bout des doigts, hésita encore un long moment avant d’hocher la tête. Elle l’enleva et me le tendis, afin que je l’emballe dans un beau petit écrin de velours rouge. A peine eut-elle donné l’argent qu’il me fut arraché des mains par mon maître. Je plantai mes yeux dans les siens, une lueur désapprobatrice brillant dans mes prunelles. Il me mettait en colère. Mais je devais me taire. Je serrai durement mon poing avant de me forcer au calme. Je ne pouvais me permettre de… Perdre ce boulot misérable. Je pris donc une grande inspiration avant de lui tourner le dos avant que sa voix bourrue et loin d’être agréable ne se fasse à nouveau entendre.

    - Raphaël, ne vois-tu pas que ce jeune homme attend qu’on le serve ?! Je te paie pour quoi ? Regarder les mouches ?!
    - Je vous prie de m’excuser maître. Murmurais-je d’une voix égale. Je me retournai et m’avançai vers le nouveau client… qui me souriait très simplement. C’était certes un sourire de convenance mais qu’importe. La première chose qui me vint à l’esprit en le regardant, ce fut qu’il avait une certaine beauté. Pas la beauté resplendissante des Venus sortant des flots, peintes par tant de gens non… Lui c’était quelque chose de simple et de… gentil ? Oui. Il se dégageait de sa personne, une impression de douceur. Il portait les cheveux mi-long et les avait blonds, tandis que dans ses yeux bleu brillaient une intelligence qui dépassait sans doute de loin ses contemporains. Il avait aussi un chapeau vert pomme sur la tête, un chapeau informe et loin de le mettre en valeur.
    - Puis-je vous aider Monsieur ?
    - Je l’espère ! Dans deux jours viendra l’anniversaire d’une amie à moi. Je voudrais lui offrir un présent digne de ce nom. Cette broche me semble parfaite pour l’occasion.

    Je le regardai bizarrement avant de secouer la tête, souriant doucement. Il ne savait pas s’y prendre. Ou alors il était très maladroit. On n’offre guère une broche à une femme pour son anniversaire. Mon maître voyant que j’allais contredire notre jeune client, me bouscula pour prendre la parole, parlant avec de grands gestes, assurant au jeune homme que c’était une bonne idée, qu’elle serait heureuse, que cette broche était celle qu’il fallait pour la mettre en joie et j’en passe. Je grimaçai sous mon écharpe et me retirai dans l’ombre, plus las que jamais d’être ici. Je commence à envisager de partir. Faire un long voyage vers Rome où je ne sais quoi. Je fermai les yeux quand la voix du jeune client retentit, quémandant mon avis sur la question. Je rouvris mes prunelles océanes pour les poser sur sa silhouette fine. Je le dévisageai un instant avant de porter mon regard vers mon maître, ne sachant brusquement pas quoi répondre. Si je m’opposais ouvertement à ses décisions où ses volontés, je risquais fort de me prendre quelques coups de bâtons ou pire, me faire renvoyer. Et encore une fois, malgré le peu que je gagnais, je ne pouvais me permettre de perdre ce travail.

    - Monsieur ?

    Je soupirai lourdement avant de répondre avec franchise :

    - Vous ne devriez pas lui offrir cette horreur. Une broche… Non. Mon maître n’y connait rien et souhaite seulement faire du profit. Il n’est pas à blâmer. Je vous propose plutôt un objet plus ouvragé, une tiare par exemple, ou un collier.
    - Vraiment ?
    - Absolument. Comment est cette Dame ?
    - Ravissante. Elle est douce et patiente, forte également de caractère.
    - La couleur de ses cheveux, d’yeux ? Sa silhouette ses formes…
    - Je ne pense pas que cela soit si nécessaire… Si ?

    Il est mal à l’aise et ça le rend particulièrement adorable. Il se dandine un instant, attendant une réponse de ma part et comme je ne dis rien et ne bouge pas, il se résigne à me répondre :

    - Elle fait ma taille, de longs cheveux noirs et des yeux gris. Un visage ovale et une silhouette. Hum. Voluptueuse ?

    Je retins un petit rire et hochai la tête. C’était toujours comme ça. Lorsqu’on demandait une description de la personne, en général les gens ne savaient pas comment répondre. Ils sont gênés et font dans le plus court. Je lui demandai d’attendre un instant, contournant mon maître et évitant son regard orageux. Je sais d’avance ce qui m’arrivera à la fin de la journée. Mais je m’en moque. Là tout de suite… Je ne voulais pas abuser la confiance de ce jeune homme. Je revins vers lui, un magnifique bijou à la main. Une de mes créations, une des seules, d’ailleurs. Ses yeux étincelèrent un bref instant et il effleura l’objet du bout des doigts avant de l’observer plus en avant, le mettant au soleil afin d’en regarder l’éclat, de voir les détails l. Et hocha finalement la tête. Oui, il prendrait celui-là. Il donna l’argent à mon maître avant de nous saluer. Son regard s’accrocha au mien durant un instant et il me sourit, me faisant un petit signe de la main.


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MessageSujet: Re: Number Eight   Number Eight EmptyMar 28 Déc - 18:42

    Raphaël (1461 – 1601)
    Partie II

    Le hasard voulu que je rencontre à nouveau ce jeune homme trois jours plus tard. Ou quelque chose comme ça. Je le vis tout de suite arriver. Après tout il était reconnaissable avec son chapeau informe. Il vint immédiatement vers nous, un grand sourire aux lèvres et pour une raison inconnue, je me retournai pour qu’il ne me voit pas. En fait si, il y avait une raison. J’avais… honte de me montrer devant lui dans mon état. J’étais méconnaissable et même si je portais encore mon écharpe, seul un abruti ne verrait pas que ma peau découverte avait une teinte violacée. Heureusement pour moi, le pire était dissimulé par une bonne couche de vêtement. N’en restait pas moins que chaque mouvement était un supplice et mon… maître se faisait un plaisir de me donner des tâches qui requéraient beaucoup de mouvements qui justement me faisaient mal. Je crois avoir rarement autant haït un homme. Je les écoutai distraitement, comprenant que la conversation tournait autour du précédent achat. Visiblement la donzelle avait été charmée par le présent et il désirait voir d’autres bijoux, parce que lui aussi les trouvait charmant. A nouveau mon maître se transforma en quelque chose de détestable, quelque chose d’avenant, mielleux, trop gentil pour être honnête. Il essayait encore de lui refourguer quelque objet invendable. Je retins de justesse un soupire excédé et surtout, serrai le poing pour ne pas piquer une crise mémorable.

    - Puis-je demander l’avis de votre assistant ?

    Je me figeai. Non, moi je ne voulais pas. Et mon maître non plus, d’ailleurs. Il rétorqua que j’étais occupé et pour faire bonne figure, j’astiquai quelques bijoux poussiéreux. Seulement l’autre insistait et vu le cœur qu’il y mettait, mon maître ne put que plier l’échine et me demander de venir. Je capitulai de mauvaise grâce, faisant attention aux moindre de mes mouvement et surtout, veillant à ne pas m’approcher de trop près de mon mentor. Je n’avais pas peur de lui, loin de là. Il me faisait plus pitié qu’autre chose, mais si je l’évitais de la sorte c’est parce que son contact me répugnait à un point inimaginable. La tête basse, je me présentai au jeune homme, sachant que je devrais faire très attention à mes mots. Je doute que mon maître me laisse vivre encore une fois après un nouveau défit de son autorité. J’engageai donc la conversation avec le jeune homme, parlant posément afin surtout de ménager ma voix qui en vérité était complètement cassée. Bien heureusement pour moi, un autre client arriva, accaparant l’attention de mon maître ce qui eut tôt fait de me détendre. Le jeune homme avança à l’autre bout de l’étal, au coin le plus éloigné de mon maître et je dus le suivre. Il fit mine d’observer les articles avant de littéralement m’ordonner de relever la tête. En murmurant bien entendu. N’empêche que je crispai la mâchoire et baissai la tête un peu plus, juste histoire de l’ennuyer.

    - Comment allez-vous ?
    - Bien.
    - Alors relevez la tête. J’aime voir le visage des gens à qui je parle.

    Je relevai le visage de mauvais cœur et j’opposai mes iris bleus aux siens. Il amorça un mouvement de recule mais se reprit bien vite. Il lança un bref regard vers mon maître et je crus y lire un ressentiment assez important.

    - Vous devriez soigner ça. La couleur est…
    - Je vais bien. Le coupais-je. Ce n’est l’affaire que de quelques jours. Que voulez-vous comme article ?

    Il me regarda et secoua la tête, visiblement ennuyé. Effectivement la conversation ne passait pas entre nous. Je n’étais pas disposé à parler de mes blessures et j’étais fort bien capable d’inventer une excuse bidon et loufoque pour qu’il cesse de m’interroger.

    - Je souhaitais vous revoir. M’enquérir de votre santé. En vérité vous m’intéressez. Vous avez été honnête avec moi et vous semblez connaître les gens.
    - C’est mon métier.
    - Un métier qui vous coûte cher.
    - Ça ne vous regarde pas.

    La conversation dura ainsi un bon moment jusqu’à ce que du coin de l’œil, je vois un mouvement suspect. Je tournai la tête juste à temps pour voir un homme s’éclipser dans la rue. Un voleur. Et il avait prit un bijou magnifique. Je grimaçai, m’attendant déjà à entendre les cris hystériques de mon maître. Sans un mot de plus, je laissai tout en plan pour m’élancer vers le voleur. Le problème était que je n’allais pas bien. J’étais même à cent lieux d’aller bien. Chaque mouvement me faisait souffrir et je dois avouer que je courrais plus lentement que jamais. L’autre me distançait sans la moindre difficulté et se faufilait partout, entre les gens, grimpant même sur les toits. Je crois que la perspective d’un nouveau battage en règle me donnait des ailes. Je le suivais comme je pouvais, grimpant même sur les murs avec bien moins d’élégance que l’autre… mais au moins je le suivais. Jusqu’à ce qu’il disparaisse complètement de mon champ de vision. Le souffle court, je regardai partout autour de moi, mais rien. Je lâchai un cri de rage et me laissai tomber sur le toit, le corps tremblant sous l’effort que je venais de lui ordonner. Sublime, j’avais des sueurs froides à présent.
    Je restai là, perché, durant un long moment avant de me décider de bouger. Je descendis et entrepris de retrouver mon chemin. Mon maître était furieux que je sois partit sans le prévenir et… l’autre jeune homme était encore là, à m’attendre, inquiet. Je me présentai à eux, le visage fermé, les habits encore collant à cause de la transpiration et le souffle toujours aussi laborieux. Roberto - mon maître- ne m’avait pas loupé en me donnant le coup de pied dans le plexus. Je n’hésitai pas, que m’avançai vers eux, préparant déjà ce que je pourrais dire.

    - Où étais-tu passé !
    - Je tentais de rattraper un voleur.
    - Tu essayais… Comment ! Espèce d’incapable ! Voilà ce qui arrive lorsque tu ne surveilles pas la marchandise ! Et tu n’as même pas été capable de le retrouver ? Je retiendrai le montant du bijou sur ta paye !
    - Mais bien sûr. En vingt ans vous ne serez toujours pas remboursé. Mais ne vous gênez surtout pas.
    - Que dis-tu !?
    - Je dis que vous me sous-payez, vous me traitez comme moins qu’un chien et vous me battez. Pas étonnant que je ne puisse fournir l’énergie nécessaire pour retrouver un voleur expérimenté. De toute manière ce n’est pas vous qui pourriez courir après quelqu’un, vous avez déjà bien trop de difficulté à vous déplacer d’un étal à un autre !

    Il avait peut-être difficile à se déplacer mais ses coups étaient cuisants. Je vis à peine sa main s’abattre sur mon visage. Je fus sonné durant un instant, voyant de petites tâches blanches danser devant mes yeux. Je sentais le goût métallique du sang dans ma bouche et… il avait éclaté ma lèvre cet enfoiré ! Mes yeux se firent orageux mais avant que je ne puisse riposter, le jeune homme dont j’avais oublié l’existence, s’interposa entre nous. Il engueula littéralement Roberto avant de se retourner vers moi pour me sermonner tout aussi copieusement. Mais je lisais dans son regard une sorte de douceur et aussi… il semblait sincèrement navré de ce qui m’était arrivé. Je secouai la main et me retournai, laissant tout tomber. Le travail, mon maître et le jeune homme blond. Je préférais encore me faire voleur que de devoir travailler dans ces conditions.

    Le hasard voulu encore une fois mettre ma route en travers de celle de ce même jeune homme. En effet, quelques heures plus tard, après l’incident, il se tenait devant moi, me tendant la main. Il est vrai que j’étais affalé au sol, le dos contre un mur affin de me reposer un peu. Je relevai les yeux vers lui pour les poser ensuite sur sa main. Et je le niai. Je n’avais pas besoin de sa pitié. Non d’un chien, je valais mieux que ça ! Il ne se découragea pas et s’accroupis en face de moi, cherchant mon regard.

    - Vous n’avez plus de travail.
    - Merci de me le rappeler.
    - Et je suppose que vous n’avez nul endroit où loger.
    - Si. La ruelle derrière moi.

    Il me regarda bizarrement mais refusa visiblement de s’émouvoir de mon manque de réaction. Il reprit une grande inspiration avant de continuer.

    - Que diriez-vous si je vous engageais ?
    - Que vous êtes fou.
    - Vous ne désirez même pas savoir pourquoi je vous engage ?!
    - Franchement non. J’ai assez donné.
    - Vous ne pensez tout de même pas que je suis comme la brute qui vous servait d’employeur ?
    - Je ne vous connais pas. Et pourquoi auriez-vous besoin d’un homme ne sachant rester à sa place ? Après tout, j’ai par deux fois défié mon maître et je l’ai insulté. Vous étiez là.
    - Vous aviez des raisons d’agir de la sorte.
    - Effectivement : mon mauvais caractère. Laissez-moi tranquille.
    - Je vous paierais, vous pourrez aussi habiter chez moi. Je vous nourrirais également.
    - Et que dois-je donner en échange de votre générosité ?
    - Rien. Vous ferez juste le ménage. Si ça vous convient.

    Absolument. Après tout, c’est un métier très bien vu, très bien payé et… Non mais pour qui il me prenait !

    - Gardez votre pitié.
    - Je vous assure que...
    - Allez-vous-en. Laissez-moi.
    - Non. Je… Je vous l'aie dit, vous m’intéressez. Vous avez quelque chose de spécial et je suis certain que vous me serez plus utile que vous ne le pensez. Pas uniquement pour le ménage. En fait, c’est plus une excuse pour vous payer et vous garder près de moi. Alors ?
    - Alors vous êtes vraiment malade.
    - Cessez de me prendre pour un abruti !
    - Cessez de me faire de la charité !

    Il eut un silence et il sourit. Il se releva et me tendit la main. Je la pris sans vraiment réfléchir et le suivis sans un mot jusque chez lui.


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MessageSujet: Re: Number Eight   Number Eight EmptyJeu 30 Déc - 22:05

    Raphaël (1461 – 1601)
    Partie III

    J’étais à présent assis à une table napée avec quelques plats qui sentait vraiment très bon. Je sentais même mon ventre me faire mal tant j’avais faim et… mine de rien, j’attendais, par ce que mon compagnon n’était pas encore près. Et puis j’étais un peu gêné de devoir accepter l’aide de cet inconnu. Je refusais la charité et il le comprenait. Il m’avait assuré que ce n’était pas par pitié qu’il faisait ça, que c’était d’ailleurs la première fois qu’il engageait quelqu’un comme ça sur un coup de tête. Je crois que… J’avais accepté de l’accompagner parce que la douceur émanait de son être tout entier. La douceur mais aussi la méfiance et dans ses yeux bleus brillait une intelligence qui n’avait rien à faire dans cette époque. Il était trop curieux pour son propre bien. Il déposa un autre plat et s’assit en face de moi. Il joignit ses mains l’une à l’autre et ferma les yeux. À mon grand désarroi, il commença à remercier le seigneur Dieu pour le repas qu’il nous offrait. Encore une raison de me sentir mal à l’aise. Je restai silencieux, attendant que mon compagnon termine et lorsqu’il releva la tête, sa question tomba :

    - Vous ne priez pas ?
    - Je ne suis pas croyant…
    - Vraiment ? C’est étrange… Faites attention à vous. L’Eglise risque de ne pas aimer.
    - Ça ne vous gêne pas ? Que je sois athée ?
    - Pas du tout.

    Je fus bizarrement soulagé. Il me sourit et m’invita à commencer le repas. Je penchai légèrement la tête sur le côté. Il me regardait, attendant que je daigne faire ce qui était obligatoire. A savoir enlever mon écharpe. Je me raclai la gorge avant de retirer le tissu avec précaution afin de ne pas réveiller la douleur. Mon compagnon eut une réaction pour le moins violente : il se leva vivement, faisant tomber la chaise en arrière et se rapprocha de moi, quasiment horrifié et surtout, très en colère. Je le regardai sans comprendre quand il me prit la main. Il me tira littéralement jusqu’à la salle d’eau où il entreprit de mouiller un tissu blanc qu’il appliqua sur ma lèvre avec mille précautions. Il nettoya ainsi tout mon visage sans me permettre de protester et appliqua ensuite de la pommade sur mes hématomes, toujours avec cette même précaution. Je pris sa main dans la mienne, lui demandant muettement de cesser toute cette mascarade.

    - Il faut vous soigner.
    - Je vais bien.
    - C’est faux. Votre visage…
    - Rien de grave. Juste quelques coups que je n’ai pas su arrêter.

    Il fronça les sourcils et reprit :

    - Enlevez vos vêtements.
    - Pardon ?
    - Vous m’avez bien compris. Comment arrêter des coups autrement qu’en se protégeant avec les bras ? En se repliant complètement. Le reste de votre corps doit être dans un état bien pire que celui de votre visage.
    - Je tiens debout, c’est suffisant non ?
    - Pas pour moi. Vous logez à présent sous mon toit et je ne saurais accepter que mon pensionnaire soit mal soigné. Je ferais un bien mauvais hôte. Enlevez vos vêtements je vous prie.
    - Tous les vêtements ?
    - Au moins votre haut et votre pantalon.

    Je secouai la tête et soupirai. Je commençai par le pantalon pour ensuite trainer sur la chemise… Lorsqu’elle glissa, mon compagnon ne pus retenir son mouvement de recul. Mon torse et mon dos faisaient peur à voir. En dehors des hématomes il y avait également des plaies ouvertes et franchement peu agréables à regarder. Sans compter les autres cicatrices. Il jura et se rapprocha de moi, entreprenant avec un sérieux incroyable de me soigner, ignorant mes plaintes et mes paroles. Le repas allait refroidir. Qu’importe, on pouvait le réchauffer… Il ne voulait rien entendre. Ma santé passait avant tout le reste. Et quand enfin il eut terminé après plus d’une heure de travail, il se releva pour ranger les affaires.

    - Vous avez un beau bijou. Il était là où vous travailliez ?
    - Non… Je ne sais pas. Il était sur moi lorsque j’ai repris connaissance. Il est ce que j’ai de plus précieux. Je le garde toujours sur moi, par peur de le perdre.
    - Il a de la valeur… autant en monnaie qu’en sentiment. Puis-je le voir ?
    - … Entendu.

    Je me rapprochai de lui, enlevant mon collier pour lui tendre la bague. Il la prit doucement et la regarda à la lueur d’une bougie, fixant les reflets irisés, doré et rouge.

    - Je n’ai jamais rien vu de pareil. Elle doit être ancienne… faite d’or et de pierre précieuse.

    J’haussai les épaules et me rhabillai. Je récupérai ma bague, la remettant à sa place et me dirigeai vers le salon. Le repas se déroula dans le calme et il apparu que la qualité de la nourriture était bien loin d’égaler leur fumet. C’était mangeable mais visiblement, je devrais aussi me charger de la cuisine en plus du ménage.

    - Laissez, maître. Je vais faire la plonge. Allez-vous reposer.
    - Ce soir et les prochains à venir, jusqu’à votre complète guérison, nous la ferons à deux. Et appelez-moi Léonardo.
    - Raphaël.

    ******

    Léonardo travaille à son bureau. Cela fait maintenant trois jours et deux nuits qu’il reste penché sur cette table à regarder des plans, à tracer des machins compliqués, à ruminer et… bref, moi j’en ai marre d’errer dans la maison comme une âme en peine. J’avais terminé de ranger la maison voilà presque deux mois et là… Je n’avais plus rien à faire. Du coup, j’avais amené une table près de celle de mon hôte afin de pouvoir le regarder quand il travaillait. Et là j’étais affalé sur ladite table. Les bras croisés, le visage à moitié caché, je le regardais. Je gémissais parfois d’ennui, des appels à l’aide que mon compagnon niait avec superbe. Mais qu’est-ce qui pouvait bien être plus intéressant que moi ! Bon non… qu’est-ce qui pouvait être plus intéressant qu’un être vivant ? Un papier ne parle pas, ça ne pense même pas !

    - Léonardoooo !!!! Help me ! I die ! Save me!

    Ça eut au moins le don de lui faire relever la tête. Ha ! tout n’est pas perdu ! Il secoua la tête, comme s’il avait affaire à un sale gamin qui s’amusait à contredire ses parents ou à les déranger. Ou à inventer une nouvelle langue que personne ne pourrait comprendre. Il retourna sans attendre à ses plans.

    - Léooo ! t’es pas drôle, merde quoi !

    Il ne releva même pas. Je grognai et me relevai, décidé à le retirer de son travail pour qu’il fasse enfin quelque chose de différent et qu’il s’amuse, qu’il se repose aussi. Je sais qu’il s’amuse en inventant, en peignant et tout, mais là, c’était… Je n’en pouvais plus de cette immobilité. Je me relevai et me déplaçai vers lui regardant par-dessus son épaule, chose dont il avait horreur. Il détestait même que je regarde ses travaux, mais franchement, je n’en n’avais que faire. Je parcouru rapidement ce qu’il faisait avant de prendre d’autre document sous l’air courroucé de mon ami. Il tenta de les reprendre mais je lui tournais habilement le dos. Et enfin je trouvai ce que je cherchai. Je fis un grand sourire, lui rendant les papiers sous son regard étonné, puis je fondis sur le fusain et corrigeai quelques petites choses sur son plan.

    - Raphaël ! Arrête ça, c’est important ! La moindre erreur fausse tout le calcul et le prototype final en sera modifié !

    Je lui fis un grand sourire avant de lui faire un bisou sonore sur la joue, m’enfuyant dans les chambres. Je revins une minute plus tard avec deux coussins dans les bras.

    - Raphaël, c’est incroyable comment as-tu…

    La fin de sa phrase fut étouffée par le coussin que je venais de lui envoyer à la figure. Je lui écrasai l’autre sur la tête, histoire de bien lui montrer que j’en avais particulièrement marre de ses travaux. Et puis je savais ce qu’il voulait dire : j’avais trouvé l’erreur, son erreur et je l’avais corrigée. Une erreur grossière, du moins pour moi. Et maintenant qu’elle était trouvée, et bien il allait enfin pouvoir se reposer. Et s’il ne le faisait pas, je me chargerais de l’attacher au lit pour lui donner un quelconque médicament qui le calmerait. Il retira le coussin et me fixa avant de comprendre où je voulais en venir. Il s’arma de son oreiller et… Nous retombâmes en enfance. Clairement. Nous nous battions à coups de polochons. Si bien qu’après une lutte acharnée, l’un d’eux se déchira, envoyant des plumes partout dans la pièce. Elles retombèrent lentement, doucement, volant dans l’air. Nous cessâmes tout mouvement et regardâmes ce spectacle.

    - C’est magnifique. Murmurais-je.
    - Oui. Merci Raphaël…
    - De quoi ?
    - D’être là. De m’offrir ça. Tu es tellement différent de l’image que tu donnes au monde. Tu es gentil, attentionné et intelligent. Merci.
    - Tu es pareil Léonardo. Tu m’as juste accepté tel que j’étais sans chercher plus. Tu t’es contenté de me voir moi. C’est à moi de te remercier. Et maintenant le moment émotion est terminé. Va dormir.
    - Mais…
    - Va dormir ! Sinon je t’attache au lit moi-même ! répliquais-je sans le laisser finir, le poussant jusqu’à la chambre.

    Il alla se reposer, juste pour quelques heures alors que moi… le sommeil me fuyait. J’étais certes un peu fatigué –voire même beaucoup- mais… j’étais incapable de fermer les yeux pour sombrer dans les bras de Morphée. Aussi j’élus domicile dans la chambre de mon hôte, je l’observai un bon moment dormir, fasciné par son visage détendu, ses mèches blondes mises en valeur par la pâleur de la lune. Léonardo était un être exceptionnel, je le sentais. Et intérieurement, je me jurai de ne jamais le laisser, de ne pas l’abandonner. Il avait été bon avec moi et je l’appréciais. Temps qu’il accepterait ma présence à ses côtés, je serais là. Et sur cette pensée, je quittai sa chambre.
    Il se réveilla aux premières lueurs du jour et vint immédiatement prendre place à la table où l’attendait un petit déjeuné préparé par mes soins. Effectivement c’était moi à présent qui préparais le déjeuner. Et je pense aussi faire le diner vu que la qualité culinaire avait tendance à franchement baisser. Encore une fois, il prit place en face de moi, prenant du pain et de la confiture et tout en tartinant, commença la conversation :

    - As-tu passé une bonne nuit ?
    - Si on veut.
    - Raphaël… J’aimerais te poser une question.
    - Hm ?
    - Hier, tu as trouvé une erreur de calcul sans la moindre difficulté, en regardant à peine les plans. Comment as-tu fait ?
    - Il fallait juste prendre du recul. Tu étais penché sur ton travail depuis trop longtemps. Les yeux s’habituent aux fautes.
    - C’est assez pertinent ce que tu dis là.
    -Tu en doutais ? Sache très cher, que je suis un génie !
    - Étouffe toi donc avec la confiture.
    - Moi aussi je t’aime Léo. répliquais-je avec un grand sourire.

    Pour une raison qui m’était encore inconnue, mon compagnon s’étrangla. Je penchai la tête sur le côté, souriant toujours un peu. Il m’avait demandé de m’étouffer et il me montrait l’exemple… Il sembla on ne peut plus gêné d’un coup, ce que j’avoue, je ne compris pas. Certes cette « déclaration » était abrupte, mais pas dérangeante. J’oubliais que les gens d’ici n’ont pas l’esprit aussi ouvert que le mien. Un silence quelque peu pesant s’installa avant qu’il ne reprenne enfin la parole, faisant comme si rien n’avait été dit.

    - Ça fait quelques mois que tu vis sous mon toit, n’est-ce pas Raphaël ?
    - C’est exact. Tu veux que je… « prenne mon envol » ?
    - Non, pas du tout, enfin si mais… tu peux rester ici. Tu es le bienvenu. Je voulais juste dire que j’ignore beaucoup de toi, ta vie, d’où tu viens, je ne connais même pas ton âge ou ton nom complet.
    - Je ne pensais pas que tu trouvais cela important. Et puis tu n’as jamais posé de questions…
    - Il faut avouer que tu évites soigneusement le sujet.
    - Disons que… tu constateras par toi-même pourquoi j’évite de parler de moi.
    - Je peux… ?
    - Bien sûr.

    Il réfléchit un instant, me sondant de son regard clair. Il hésitait à me questionner et je ne pus m’empêcher de murmurer à son attention :

    - Il ne faut jamais hésiter, sous peine de voir se soustraire sous nos pieds ce que l’on souhaitait se voir accomplir…
    - Mais l’hésitation est signe d’intelligence Raphaël. Tu devrais apprendre à hésiter plus souvent, cela ne pourrait que t’être bénéfique.
    - Ça me rendrait plus humain…
    - Ce n’est pas ce que je pensais ni ne voulais dire.
    - C’est ce que je pense moi.

    En effet, je suis ici, en Italie, depuis dix ans et… je… Je reste aussi jeune et débordant d’énergie qu’avant. Je dois avoir quelque chose de spécial. J’espère sincèrement que dans dix autres années, j’aurais des rides et des cheveux gris.

    - Oublie ce que je viens de dire. Pose-moi tes questions.
    - Je… il secoua la tête, prit au dépourvu. Il soupira un instant avant de se lancer, légèrement mal à l’aise devant mon calme ou le fait que je me considérais comme un monstre. Quel âge as-tu ?
    - Quel âge ais-je l’air d’avoir ?
    - Ne te moque pas de moi veux-tu.
    - Je ne me moque pas… Je ne connais pas ma date de naissance.
    - Raphaël…
    - Ha non ! Pas de pitié ! répliquais-je vaguement horrifié par son regard plein de sollicitude.
    - D’où viens-tu ? De quelle ville ? De Florence, de Venise, Milan… ?
    - Je ne sais pas.
    - Tes parents ? Ton nom de famille ?
    - Je ne sais pas.
    - Tu dois bien avoir de la famille quelque part, une personne qui t’attend, une femme !
    - Je ne sais pas Léonardo.
    - Tu ne sais rien de ta vie !? ou ne veux-tu simplement pas m’en parler ?
    - Je ne sais rien. C’est le problème de l’amnésie vois-tu.
    - Amnésique ? Ho Raphaël, je suis tellement désolé… Si j’avais su…
    - Tu ne m’aurais rien demandé. Ça va. J’ai appris à vivre avec.
    - Tu vis avec ça depuis longtemps ?
    - Dix ans au moins.

    Pour le coup, je lui clouai le bec. Mais j’avais appris à connaître mon compagnon et je savais, en le regardant, qu’il réfléchissait. Pour m’aider. Il savait que l’être humain était mauvais et que s’il publiait ses inventions, elles seraient utilisées pour faire le mal… Il savait que l’être humain était cruel, mais… ça ne l’empêchait pas d’essayer de l’aider et d’être fasciné par lui. Pas étonnant qu’il soit occupé à se décarcasser pour trouver quelque chose pour m’aider. L’idiot, je vais bien, je n’ai besoin de rien… Je regrette parfois de ne rien conna6itre de moi, j’ai parfois mal à l’idée d’avoir perdu quelque chose d’important mais… Si c’était perdu, j’aurais difficile à le retrouver. Et j’étais occupé à vivre une nouvelle vie. Léonardo termina de manger, d’ailleurs la fin du repas se déroula dans le silence, et il releva enfin la tête vers moi. Durant un instant nos prunelles s’accrochèrent et je sentis au fond de moi, comme une fissure. J’avais mal. Inexplicablement. Comme si le fait d‘apprécier ce jeune homme n’était pas pour moi. Ou que je faisais quelque chose d’affreux.

    Il se releva et contourna la table pour me faire face. Il garda encore le silence un instant, cherchant sans doute les bons mots. Avant d’abdiquer, se lançant à pieds joints dans son idée, qui il faut le dire, me laissa sur le cul. Heureusement que j’étais assis.

    - Alors je serais ta famille. Je serais celui qui t’attendra lorsque tu seras parti, ma porte te sera toujours ouverte et tu trouveras toujours dans ma demeure, une assiette pour toi et un lit. Je t’écouterais lorsque le besoin s’en fera sentir, je serais là, à tes côtés.

    Un frisson inexplicable – encore !- me parcouru l’échine, et inexplicablement – et oui, ça devient habituel- je sentis les larmes me venir aux yeux. Mon cœur tambourinait douloureusement dans ma poitrine et… je ne pus que murmurer une phrase étrange qui sonnait bizarrement dans le contexte actuel :

    - J’en fais aussi le serment.

    Je serais aussi toujours à ses côtés. Je crois que j’avais besoin de sa présence et de sa douceur. Il était là, toujours, intelligent et fort capable de me comprendre, tellement en avance sur son époque mais avec les même rêve unificateur que le mien. L’humanité était notre passion, les hommes, ce qu’ils étaient capables de faire. Nous étions tous les deux hors du temps, et je me promis de tout faire pour aider cet homme à se graver un nom. De faire en sorte qu’il traverse le temps et reste à jamais dans l’histoire. Je savais que pour moi, ça serait inutile…
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